Le textile doit se penser comme de la cosmétique

La fin du modèle « 700 références par an »

Depuis plusieurs mois, je pose mes yeux dans des industries différentes, et ce que je vois confirme une évidence : les logiques qui fonctionnent dans un secteur peuvent souvent éclairer un autre.

Pendant des années, les marques de prêt-à-porter ont joué la course à la variété, cherchant à proposer un “univers complet” : 700 références par an, de l’anorak à la jupe, du pull au pantalon, en passant par la maroquinerie, les ceintures, les chaussures, les bijoux, les foulards… Toute une avalanche de produits pour capturer chaque besoin, chaque envie.

Ce modèle, qui semblait à première vue ouvrir toutes les portes, s’est révélé aujourd’hui intenable. La rentabilité devient un mythe si l’on ne parvient pas à être un prodige du marketing et du produit, capable d’être si bon qu’on n’a pas besoin de dépenser des millions pour acquérir ses clientes.

La plupart des marques, elles, se noient dans l’immensité de leur catalogue, dans des coûts d’acquisition en explosion, des taux de retour qui grèvent les marges, et une fidélité client qui s’érode dangereusement.

Un marché en ligne toujours puissant.

Le e-commerce textile reste pourtant l’un des piliers de la vente en ligne. En France, il représente plus de 20 % des ventes de vêtements, soit plusieurs milliards d’euros, avec une croissance qui ne faiblit pas. Les plus jeunes générations, notamment la génération Z, sont en tête de cette dynamique. 91 % d’entre eux achètent en ligne, principalement via leur smartphone, et ils sont les premiers à chercher des expériences d’achat simples, rapides et transparentes.

Mais la quantité massive de produits disponibles a un prix : taux de retour parmi les plus élevés du e-commerce, dépenses marketing qui s’envolent, et une promo permanente qui noie la valeur des marques. Face à ces défis, beaucoup cherchent une nouvelle voie.

Pourquoi le textile doit apprendre de la cosmétique

La cosmétique est un marché plus mature, plus concentré, et souvent moins chaotique que le prêt-à-porter. Pourquoi ? Parce qu’elle fonctionne sur un nombre restreint de familles produits, deux, trois grandes lignes. Elle ne vend pas 700 références par an. Elle mise sur l’expertise, la confiance, la spécialisation.

La conséquence ? Un taux de retour très faible. Les clientes savent ce qu’elles veulent, elles font confiance à la marque, et l’offre est suffisamment ciblée pour limiter les erreurs d’achat. Elles ne cherchent pas un univers entier, mais une expertise forte dans des catégories clés.

Le nouveau modèle textile : spécialisation et maîtrise

C’est exactement ce que le textile doit embrasser aujourd’hui. La marque de demain ne proposera plus vingt-cinq familles de produits, mais une ligne claire et cohérente : du denim, ou des robes, ou des pulls, voire une combinaison cohérente de deux ou trois catégories seulement.

Cette concentration permet de réduire les retours, car la marque maîtrise parfaitement son produit. À l’inverse, proposer 25 familles de produits implique souvent de gérer 25 à 40 fournisseurs, eux-mêmes répartis sur une quinzaine de pays, complexifiant logistique, qualité et délais.

Contrairement à la cosmétique, où les produits ont une durée de vie longue, la robe d’été, elle, ne vaut pratiquement plus rien après 3 à 4 semaines. Si tu ne la vends pas vite, tu es condamné à la brader à perte.

Les clientes savent où venir chercher leur jean parfait ou leur robe intemporelle. Le marketing devient plus simple, plus puissant. Les shootings sont mieux ciblés, les collections plus réfléchies, avec un juste équilibre entre essentiels et nouveautés.

Les attentes des nouvelles générations

La génération Z ne veut plus de la dispersion et de la profusion. Elle cherche des marques engagées, transparentes, qui proposent une vraie valeur et un vrai savoir-faire. Elle achète ou du prix, ou du sens, ou de l’expertise, ou les trois à la fois.

Le textile, pour survivre et prospérer, doit donc ressembler davantage à la cosmétique : peu de familles produits, une vraie expertise, peu de retours, et un rapport clair avec sa clientèle.

La prochaine génération de marques textiles sera peut-être plus petite en taille, mais plus rentable. Des entreprises solides, avec un chiffre d’affaires entre 15 et 30 millions d’euros, parfaitement alignées avec leur marché.

Au jeu des drops, chaque semaine, Shein et Zara seront toujours plus forts. Impossible de rivaliser sur ce terrain-là. La vraie force des marques émergentes sera ailleurs : dans la cohérence, la confiance, la rentabilité et la maîtrise.